Demain c’est cimetière et je suis soulagée d’écrire ce
nom au singulier, d’écrire cette journée au singulier aussi. Je sais que la
tombe de ma mère aura déjà été nettoyée par la personne inconnue, qu’il n’y
aura plus aucune feuille du chêne d’Amérique venue de l’ancienne forge…Mais c’est
vrai, j’avoue que quelque part j’aimerais bien tomber nez à nez avec elle, moi
avec ma petite pelle et elle avec sa brosse et son seau d’eau. Quand même cela
fait des années que ça dure et le mystère reste entier !
Ma petite pelle c’est pour les bruyères aux pieds des
arbres, enfin s’ils n’ont pas été coupés comme ceux que mon grand-père avait
plantés. Depuis qu’ils sont devenus grands, j’ai cette appréhension de ne plus les apercevoir
en sortant de la voiture. Je suis tellement fière d’avoir sauvé ces deux
arbrisseaux, je ne sais pas leur nom, ni d’ailleurs le nom de la personne qui avait déposé cette
composition florale et arbustive sur la tombe.
Demain c’est cimetière et je suis soulagée d’écrire ce nom au singulier,
d’écrire cette journée au singulier aussi. Même si mon grand-père est ailleurs,
c’est dans ce village que je le retrouve, et pour mon arrière-grand-mère je ne
pense pas que ça lui manquera, comme la fois où je me suis perdue dans toutes les
allées du grand cimetière de sa ville à la nuit tombée et que…finalement pour
ne pas repartir avec ma potée, je l’ai déposée sur la tombe de quelqu’un avec
le même nom de famille.
Demain c’est cimetière et je suis soulagée d’écrire ce
nom au singulier, d’écrire cette journée au singulier aussi. Demain je vais parler
aux arbres en regardant un peu partout dans le cimetière, en accrochant mes
yeux aux pierres blanches de l’église, et si jamais ils ne sont plus là, je
parlerai aux bruyères pour leur dire que tout bientôt elles auront deux grands
frères pour passer l’hiver. Ensuite j’allumerai une cigarette en grimpant vers le haut du cimetière, soulagée,
parce qu’après la tombe de ma mère (de ma grand-mère aussi), je vais suivre le circuit
que nous faisions ensemble, ce petit bébé sa cousine…cette centenaire sa grand-tante…et
puis à la tombe penchée de nos origines venues d’ailleurs, il y aura ce grand
vide de silence qui ne finira jamais de s’écrouler.
Alors qu’avec ma mère nous repartions vers
le bas, moi maintenant je continue tout droit vers le nouveau cimetière, il n’y
a vraiment aucune place pour les arbres, que des terrains à tombes bien calculés,
mais juste après il y a une prairie avec des ânes et la rivière…Je me demande si
la rivière sera encore là, c’est juste pour ça que demain j’irai au cimetière !!!
(et puis pour les arbres aussi ;))